martes, 3 de junio de 2008

Émile Nelligan, Raoul Gómez-Jattin: poète maudit, maudit poète.


«¡Tranquilos! Sólo a mí suelo hacer daño»

Ce qu’on connaît comme l’histoire, c’est en réalité l’histoire de l’Occident. Mais, l’Occident n’est que la conjonction de la raison grecque, de la foi judéo-chrétienne et de la conception sociopolitique romaine. Dans cette idée se trouve le principe de l’eurocentrisme culturel comme idéologie dominant partout dans le monde.
Pour ceux qui sont nés en deçà de la mer, une telle conception engendre, entre autres, un réitératif sentiment d’infériorité historique et linguistique, une mentalité de colonisés.
On finit par croire que l’emploi de certaines tournures prosodiques et de vocabulaire sont plus authentiques, plus précises et plus pures si elles sont employées dans la métropole.
En parlant de littérature, les lettres américaines ont été toujours à l’arrière-garde comparativement à celles de l’Europe. Il nous fallut attendre jusqu’au vingtième siècle pour voir les œuvres des écrivains américains sur les étagères des grandes librairies du vieux-monde.
Cependant dire Amérique c’est, me semble-t-il, faire référence à un immense monde trop diversifié pour être compris d’un seul regard. Mieux vaut donc me limiter à parler, ici, de choses plus proches de moi actuellement : le Québec et, bien sûr, la Colombie.
Dans quelques mois, cela fera un an que je suis arrivé au Canada. Comme pour tant de monde non francophone, le premier rapprochement avec le Québec fut par rapport à la langue et à l’effort –grand effort- de saisir les manières d’expression et le génie français. J’avoue ne m’être jamais consacré sérieusement à apprendre une deuxième langue. Logiquement, j’étudiai l’anglais à l’école et m’intéressai aux classiques latins et grecs plus tard, arrivant même à comprendre et traduire quelques locutions, mais, pas plus.
Pourtant, le français m’a toujours attiré. J’ai lu Sartre et un peu aussi Foucault, Marcel et Derrida, la Bovary de Flaubert et je connaissais ‘Les misérables’ de Hugo. J’avais entendu parler de Beaudelaire et Genet (auxquels Sartre dédie chacun un livre). Mais, je m’accuse de ne pas avoir connu auparavant le grand Rimbaud ni le contradictoire Verlaine ou encore l’obscur Mallarmé, que j’ai découverts dernièrement.
Par contre je connaissais bien Cervantes à son hidalgo ingénieux et à son cortège: les auteurs du siècle d’or (Lope de Vega et Jean de la Croix, entre autres). Je garde encore dans ma mémoire les vieux volumes des écrivains du Boum Latino-américain (Garcia Marquez, Vargas Llosa, etc.) que j’achetais, à la suite des requêtes de mon professeur de littérature, puisqu’ils étaient meilleur marché pour l’économie de mon foyer «tiers-mondiste».
À ce moment-là, Nelligan était encore trop marginal pour moi. En plus il parlait non seulement une langue étrangère mais aussi, il venait d’un pays étranger qui se confondait avec les territoires de glace.
Néanmoins il me suffit de lire «Soir d’hiver» précisément un jour quelconque de février pour vouloir m’intéresser au créateur qui incitait les oiseaux à pleurer sur la neige vierge. Comment ne pas s’émouvoir face à sa tragédie et à ses poèmes tout remplis de mélancolie!
Au même moment je pensai à Raoul Gomez Jattin, un autre poète marginal et lointain pour les cercles de haute lignée des littéraires du «centre». En plus, attendu que ses écrits sont plus récents, sa génialité et son apport restent inconnus pour les gens en dehors de la Colombie.
Laissez-moi donc parler, cher lecteur, de ces deux poètes que, en son temps, nous tenterons de connaître, au moins sommairement, dans les pages suivantes à travers de leur environnement, leur legs, et leur vies, de façon à trouver les lignes communes de leurs œuvres.

Raoul Gomez Jattin ou le cannabis jamais fumé.

Quatre ans après la mort de Nelligan dans le froid Montréal de novembre 1945, naissait, à quelques centaines de kilomètres plus au sud, dans l’humide et chaude Carthagène-des-Indes, Raoul du Christ, fils de Joaquin Pablo Gomez et Dolores «Lola» Jattin fille d’immigrants libanais. À cette époque-là Saint-Antoine-de-Cereté, le village familial, manquait d’hôpitaux et comme Lola était déjà d’un âge avancé, elle dut se rendre à la capitale provinciale pour y accoucher.
Promptement, ils retournent à Cereté, véritable patrie où grandit le poète.
Ses constantes crises d’asthme font que son père lui donne beaucoup de soins et que le petit est gardé dans la maison où il lira très tôt de grands classiques littéraires.
Une fois ses études secondaires terminées, il voyage à Bogota pour y étudier le Droit; profession que jamais il n’exercera. Il y combine ses études avec le théâtre.
Son contact avec la classe intellectuelle de la capitale du pays fait qu’il s’intéresse à la poésie.
Puis, à l’échec d’une de ses présentations dramaturgiques, il laisse l’université pour se réfugier de nouveau à Cereté. C’était en 1971.
Le poète est à son meilleur, mais l’homme affronte une forte dépression qui touche le fond à l’occasion de la mort de son père en 1976. Commence alors pour Raoul une longue marche dans le bas-fond : les drogues, une amitié perfide qu’il avait rencontrée pendant son époque d’étudiant, et autres déchaînements.
S’enfuyant d’un Cereté qui ne supporte plus ses délires, il retourne à Carthagène en 1989 pour y vivre comme un dément : pieds nus, cheveux hirsutes, barbe mal entretenue, rôdant dans les rues, couchant dans les parcs et côtoyant les putes de la rue dite «de la mi-lune» dans un continuel va-et-vient entre la prison de Saint-Diègue et l’hôpital psychiatrique de Saint-Paul. C’est la décadence de l’homme et du poète.
En 1995 il quitte le pays. À La Havane, il restera interné quelque mois dans un centre de désintoxication avec l’intention de se guérir de son problème de consommation de stupéfiants.
Revenu chez lui, il connaît la gloire : la critique le voit avec bienveillance et ses récitals se multiplient. Durant son séjour à Cuba, il avait corrigé ses écrits qui forment son ouvrage principal : «Le triptyque Ceretéen» qui peu après est publié par la maison éditoriale Norma.
Toutefois, un article négatif contre son travail et sa personne, publié dans un important journal, le fait s’effondrer (Cf. José Antonio de Oro. Raúl Gómez Jattin. El príncipe del valle del Sinú. 2001). Il retombe dans le vice encore plus opiniâtrement.
J’étais à l’orée de mon adolescence quand le poète fit au village la dernière de ses espiègleries. J’en garde un flou souvenir. Tout le monde en parlait, car tout le monde ouvrît les yeux et le regarda traverser la rue, nu comme un ver.
Deux ans après on le découvrait très tôt le matin à l’avenue Santander à Carthagène, renversé par un véhicule qui s’évada dans la brume matinale. On dit que le conducteur l’aurait fait exprès pour libérer la ville, peut-être, d’une de ses scories indigentes.
Il était Raoul du Christ Gomez Jattin, responsable de la rénovation de la poétique colombienne de la deuxième partie du XXe siècle. Le paradigme récent du poète maudit, incompris, méconnu. Et voici qu’il vient aujourd’hui à la rencontre de votre chaste Nelligan pour partager avec lui son propre chagrin et «maudicité» .

Nelligan ou l’abîme du Rêve

Émile Nelligan naquit à Noël de 1879. Dix-neuf après, son œuvre était achevée.
Il est probable qu’il ne faille pas trop parler de sa biographie, en général connue suffisamment par la plupart des Québécois. Il nous suffit de savoir ou encore de rappeler qu’il était le fils d’un irlandais et d’une canadienne-française et qu’il fut membre de l’école littéraire de Montréal, ville où il passe la plupart de ses jours, sauf quelques brefs séjours à Cacouna et un court voyage en Angleterre.
Adolescent génial, son œuvre est composée de cent soixante-dix poèmes, chansons et poèmes en prose, dont quelques uns furent publiés dans différents journaux ou publications locales.
Dans les mouvements littéraires, voués à l’émancipation culturelle des nouveaux écrivains, sociétés laïques et favorables à la libre-pensée (Cf. Jacques Blais. L’entourage libéral de Nelligan. 1991), il connaît le succès. Il va aussi y trouver ses grands amis et responsables de la diffusion postérieure de son œuvre, tels que Arthur de Bussières et surtout le prêtre Eugène Seers, devenu Louis Dantin après qu’il eut défroqué.
Les acerbes critiques de E. de Marchy, français de passage à Montréal blessent fortement l’orgueil du jeune Nelligan, déjà fortement rongé par la névrose de manière qu’il finit par se replier encore davantage sur lui même (Paul Wyczynski. Émile Nelligan. 1967). Dans son affliction, il répond au critique en composant sa fameuse «Romance du vin», véritable chant du cygne du poète d’après Dantin. Après cela, le decrescendo…
La dégénérescence mentale l’emmène à diverses institutions psychiatriques où il passe à peu près quarante et un ans. On peut dire qu’il vécut jusqu’au 9 août 1899 et que son existence s’est continuée en hôpital psychiatrique, d’abord à la Retraite Saint-Benoît jusqu’en 1925, puis à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu où il mourut en 1941.
Ce n’est pas mon intention de faire une étude exhaustive de Nelligan et de sa production littéraire. Je veux plutôt mettre en lumière quelques thèmes communs qu’on constate aussi chez Raoul Gomez Jattin.

Nelligan et Gomez Jattin : deux maudits.

À première vue il y a des ressemblances entre ces deux personnages venus d’endroits si éloignés et si différents, parce que la tragédie humaine au fond est la même, peu importe dans quelle latitude elle se déroule.
Ces ressemblances dont je parle se situent à plusieurs niveaux : biographique, thématique, poétique, et littéraire en général.
Au niveau biographique, les deux sont nés d’un métissage ou bien franco-irlandais ou bien hispano-libanais. Les deux ont choisi la langue locale pour s’exprimer; les deux connurent l’environnement sombre des asiles d’aliénés, le délire et la folie. Leurs personnalités instables et nerveuses, ont fait naufrage suite aux critiques. Laissons à leurs propres mots de nous faire un premier portrait :

UN POÈTE
Emile Nelligan


Laissez-le vivre ainsi sans lui faire de mal !
Laissez-le s'en aller; c'est un rêveur qui passe;
C'est une âme angélique ouverte sur l'espace,
Qui porte en elle un ciel de printemps auroral.

C'est une poésie aussi triste que pure
Qui s'élève de lui dans un tourbillon d'or.
L'étoile la comprend, l'étoile qui s'endort
Dans sa blancheur céleste aux frissons de guipure.

Il ne veut rien savoir ; il aime sans amour.
Ne le regardez pas! que nul ne s'en occupe!
Dites même qu'il est de son propre sort dupe!
Riez de lui!... Qu'importe! il faut mourir un jour...

Alors, dans le pays où le bon Dieu demeure,
On vous fera connaître, avec reproche amer,
Ce qu'il fut de candeur sous ce front simple et fier.
Et de tristesse dans ce grand oeil gris qui pleure!

DE LO QUE SOY
Raul Gómez Jattin


En este cuerpo
en el cual la vida ya anochece
vivo yo.
Vientre blando y cabeza calva
pocos dientes
y yo adentro
como un condenado
Estoy adentro y estoy enamorado
y estoy viejo
Descifro mi dolor con la poesía
y el resultado es especialmente doloroso
voces que anuncian: ahí vienen tus angustias.
Voces quebrada: ya pasaron tus días.
La poesía es la única compañera
acóstumbrate a sus cuchillos
que es la única.

Chez les poètes œdipiens.

Autant pour Nelligan que pour Gomez Jattin, le thème de la mère est une réalité récurrente. Il faut d’abord rappeler que dans le cas du montréalais, sa mère, femme encore jeune a marié un étranger qui dédaignait la culture francophone et interdisait de parler français en sa présence.
La relation entre le poète et son père fut donc toujours difficile et parfois même dramatique. C’est sous les jupons protecteurs et complices de Mme Nelligan que le poète trouvera protection contre les rages démesurées de son père et à sa forte opposition de laisser libre cours à la veine poétique du garçon.
Ce lien est bien présent dans le film «Nelligan» de Robert Favreau paru en 1991. En favorisant l’imagination, Favreau montre la scène d’un baiser entre le poète nu dans la salle de bain et sa mère. Une chose est vraie : la figure maternelle est très assidue dans les poèmes nelliganiens. Sa mère est l’incarnation de la pureté, de la beauté, le tendre souvenir de l’enfance.
Du côté de Gomez Jattin, quelques études psychiatriques, un peu esquissées par Heriberto Fiorillo dans son livre «Brûle Raoul», incitent à situer la maladie mentale du poète dans un complexe d’Œdipe jamais surpassé et des traits fortement pathologiques. Avec ses amis, Raoul aimait de temps en temps se déguiser en femme. Ses sessions de travestisme favoris étaient de se peinturlurer les lèvres et dire que son nom était Lola Jattin.
Donc, on constate chez les deux poètes un effort pour donner a leurs mères une sur-identité parfaite et angélique.
Laissons-les parler encore :

DEVANT DEUX PORTRAITS DE MA MÈRE
Émile Nelligan

Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien,
Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille,
Le front couleur de lys et le regard qui brille
Comme un éblouissant miroir vénitien!

Ma mère que voici n'est plus du tout la même ;
Les rides ont creusé le beau marbre frontal;
Elle a perdu l'éclat du temps sentimental
Où son hymen chanta comme un rose poème.

Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi,
Ce front nimbé de joie et ce front de souci,
Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années.

Mais, mystère de cœur qui ne peut s'éclairer !
Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées ?
Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer?



LOLA JATTIN
Raul Gómez Jattin

Más allá de la noche que titila en la infancia
Más allá incluso de mi primer recuerdo
Está Lola - mi madre - frente a un escaparate
empolvándose el rostro y arreglándose el pelo
Tiene ya treinta años de ser hermosa y fuerte
y está enamorada de Joaquín Pablo
- mi viejo -
No sabe que en su vientre me oculto para cuando necesite su fuerte vida la fuerza de la mía
Más allá de estas lágrimas que corren en mi cara,
de su dolor inmenso como una puñalada
está Lola - la muerta - aún vibrante y viva
sentada en un balcón mirando los luceros
cuando la brisa de la ciénaga le desarregla
el pelo y ella se lo vuelve a peinar
con algo de pereza y placer concertados
Más allá de este instante que pasó y que no vuelve
estoy oculto yo en el fluir de un tiempo
que me lleva muy lejos y que ahora presiento
Más allá de este verso que me mata en secreto
está la vejez - la muerte - el tiempo incansable
cuando los dos recuerdos: el de mi madre y el mío
sean sólo un recuerdo solo: este verso.

La nostalgie de l’enfance perdue

L’enfance est un autre thème qui sature les œuvres de ces deux poètes. C’est une enfance évoquée avec des accents bucoliques et des réminiscences de paysages, de jeux et d’amis.

LA FUITE DE L'ENFANCE
Émile Nelligan

Par les jardins anciens foulant la paix des cistes,
Nous revenons errer, comme deux spectres tristes,
Au seuil immaculé de la Villa d'antan.

Gagnons les bords fanés du Passé. Dans les râles
De sa joie il expire. Et vois comme pourtant
Il se dresse sublime en ses robes spectrales.

Ici sondons nos cœurs pavés de désespoirs.
Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs
Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes.

Et bien loin, par les soirs révolus et latents,
Suivons là-bas, devers les idéales côtes,
La fuite de l'Enfance au vaisseau des Vingt ans.

QUÉ TE VAS A ACORDAR ISABEL...
Raúl Gómez Jattin

Qué te vas a acordar Isabel
de la rayuela bajo el mamoncillo de tu patio
de las muñecas de trapo que eran nuestros hijos,
de la baranda donde llegaban los barcos de La Habana cargados de...
Cuando tenías los ojos dorados
como pluma de pavo real
y las faldas manchadas de mango.
Qué va
tú no te acuerdas!
En cambio yo, no lo notaste hoy,
no te han contado
sigo tirándole piedrecillas al cielo
buscando un lugar donde posar sin mucha fatiga el pie.
Haciendo y deshaciendo figuras en la piel de la tierra
y mis hijos son de trapo y mis sueños de trapo
y sigo jugando a las muñecas bajo los reflectores del escenario
Isabel ojos de pavo real
ahora que tienes cinco hijos con el alcalde
y te pasea por el pueblo un chofer endomingado
ahora que usas anteojos
cuando nos vemos me tiras un "qué hay de tu vida"
frío e impersonal
Como si yo tuviera de eso...

Poètes de la terre.

La terre est un autre élément commun. Ce sont deux paysages et deux réalités géographiques différentes. Gomez Jattin connaît le tropique, son pays est celui des mangues, des palmiers, des après-midis chauds et humides du caraïbe colombien. Il est habitué à chasser des oiseaux avec sa fronde, à se baigner dans le fleuve, à voler les fruits des jardins voisins et à rendre grâce pour l’ombre soulageant d’un acacia à midi. Il critiquera les poètes ratatinés de la froide et andine capitale, espèce d’efféminés qui jamais n’ont touché avec leurs doigts la terre mouillée, ni n’ont eu des contact révélateurs avec des animaux, ni avec le fleuve qui emporte la vie. C’est le poète de Bogota, celui qui n’est pas «contemporain avec les fleurs et qui voit la mer comme une scénographie».
Nelligan connaît aussi la nature. Dans un Québec rural et idyllique où peu de choses se passent, il éprouve du plaisir en décrivant, habituellement avec un ton attristé, les saisons, surtout l’automne et l’hiver, par antonomase, les époques sombres de l’année. Sa poésie a le mérite de nous faire entrer dans un univers magico-symbolique que nous fait nous souvenir de Schopenhauer au sens que, pour lui, l’expérience artistique était une manière de s’évader des tristesses de la vie et de transcender jusqu’aux intuitions métaphysiques de la vérité.

SOIR D'HIVER
Émile Nelligan

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
A la douleur que j'ai, que j'ai.

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire! Où vis-je? où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D'où les blonds ciels s'en sont allés.
Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
A tout l'ennui que j'ai, que j'ai...

EL MANGO DEL SINÚ
Raúl Gómez Jattin

Yo tengo para ti mi buen amigo
un corazón de mango del Sinú
oloroso
genuino
amable y tierno
(Mi resto es una llaga
una tierra de nadie
una pedrada
un abrir y cerrar de ojos
en noche ajena
unas manos que asesinan fantasmas)
Y un consejo:
no te encuentres conmigo.

Le poète : celui qui dit ce qu’il veut

Un des détails le plus attirant et sinon le plus important, c’est que autant Nelligan que Gomez Jattin sont, d’une certaine façon, des poètes inclassables et porteurs d’un germe de rénovation artistique dans leur milieu social et historique.
Prenons l’exemple de Nelligan :
Son époque est celle de la formation du Canada qu’on connaît aujourd’hui. C’est, par exemple, le temps de la ascension au statut de province du Manitoba, de la Colombie Britannique et de l’Île-du-Prince-Édouard et l’annexion des Territoires du Nord-Ouest. Dans son enfance se produit l’écrasement de la révolution métisse avec la pendaison de Louis Riel et le déclenchement postérieur d’une deuxième vague nationaliste. Littérairement la France vit sa grande révolution des lettres avec le romantisme et le symbolisme. C’est le siècle de Chateaubriand, Zola, Dumas, Balzac, Flaubert et Victor Hugo mais aussi de Beaudelaire, Verlaine, Rimbaud et une pléiade on dirait démesurée d’écrivains de toute sorte. De ce côté-ci de la mer, les noms inoubliables de Edgar Allan Poe, Walt Withman, Ruben Dario et José Marti étincellent.
Cependant, le Canada et le Québec y inclus, en comparaison à l’ensemble américain, est «assez pauvre en gloires littéraires» (Germaine Bernier. Le Devoir. Novembre 1966). Les productions qu’on retrouve au XIXe siècle sont pour la plupart de caractère nationaliste et pas trop effrontées, dépourvues de cette marque osée qui rend une œuvre originale. C’est pour cela que Nelligan est considéré comme le premier grand auteur québécois. Sa poésie dépasse les frontières. Ses intérêts vont à des sujets différents. Le thème nationaliste passe à un deuxième plan, tandis que sa poésie devient un art gratuit, désintéressé et authentique; c’est le reflet vivant de son âme, c’est la force où réside son triomphe.
Quelque chose de pareil se perçoit chez Gomez Jattin. Il se tient toujours loin de l’agité panorama politique colombien de la deuxième moitié de XXe siècle. Par sa naissance, Raoul se situerait dans la génération des poètes dits du «déracinement» ou «post nadaistes» tels que Gonzalo Arango, Mercedes Carranza, Juan Gustavo Cobo ou Giovanni Quessep, caractérisés pour la critique de la société bourgeoise et le désir émancipateur contre l’empire de l’Église Catholique à la manière d’un existentialisme littéraire colombien. C’est l’époque de la splendeur de Garcia Marquez, le premier prix Nobel colombien (1982), et l’époque des concours littéraires dont les gagnants obtiennent célébrité. Mais Gomez Jattin est néanmoins inclassable: «poète tardif, solitaire et marginal» (Cf. Luz Elena Cordero Villamizar. Otra lectura de Gómez Jattin. 2006).
Politiquement, son temps coïncide aussi avec l’éclosion des guérillas et du narcotrafic. La révolution cubaine et ses influences se laissent sentir chez les jeunes étudiants. Che Guevara devient l’idole populaire. C’était le temps de laisser les livres et de prendre le fusil, d’abandonner la ville pour prendre le maquis et y livrer la bataille des idéologies. C’est donc normal que dans ce temps-là, la situation sociale soit le principal leitmotiv de la production artistique.
Mais, à notre Raoul, cela semble indifférent. Son Cereté reste loin des zones du conflit, comme perdu dans un détour du temps. Il va choisir d’en chanter la nature et les gens. Sa poésie déconcerte, incommode. Son hameau est habitué aux éleveurs de grands bétails, foule grossière et rustre dont «ses chimères s’éteignent aux sermons du curé». Mais Raoul est poète, est de la pédale, en plus il aime l’herbe et ce sont des péchés qui ne se pardonnent pas si facilement en cette époque-là. Je ne le rapproche pas aux gens de Cereté, écrit Carlos Monsivais, ils n’avaient eu personne jusqu’à cette date-là qui les avait aidés à comprendre la présence d’un artiste (Carlos Monsivais. Valorar al loco. 2005). Peut-être que Raoul avait raison quand il disait (je cite par cœur) : «comme l’herbe fut, et ne m’ont pas fumé».
Malgré tout, Raoul entreprend une projet tout à fait original : il écrit comme une manière de se venger (Eva Duran. Arde Raúl: la terrible y asombrosa historia del poeta raúl gómez jattin, de Heriberto Fiorillo). Sa vengeance consiste en une rupture avec les paradigmes éthiques du langage. En effet, la poésie colombienne a été toujours réputée comme conservatrice. Par contre, Raoul va se plaire en utilisant un langage obscène et en employant des vocables familiers et régionaux dans ses poèmes. «En élevant à la condition poétique les mots considérés interdits par une tradition culturelle et nationale dominante, il affirme des valeurs qu’il identifie dans l’espace avec le paysage naturel et dans le temps avec l’enfance perdue» (Luz Helena Cordero Villamizar. Op. cit.). Il décrit effrontément ses rapports sexuels avec des animaux à l’aube de son adolescence, et puis avec des femmes afro-américaines et des hommes, entre autres son propre cousin.
Cela fait que la sonorité de son œuvre s’impose par elle même, sans rapport à d’autres évènements sociaux qui la renforcent.
Approchons-nous finalement du sommet de la poésie de ces deux auteurs et faisons-le à travers deux des plus importants poèmes de toute leur œuvre. Ils ne sont que l’autoportrait de l’âme de chacun :

LE VAISSEAU D'OR
Émile Nelligan

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif :
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalaient à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.
Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu'est devenu mon cœur, navire déserté ?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve!

UN PROBABLE CONSTANTINO CAVAFIS A LOS 19
Raúl Gómez Jattin

Esta noche asistirá a tres ceremonias peligrosas:
El amor entre hombres,
Fumar marihuana
Y escribir poemas
Mañana se levantará pasado el mediodía,
Tendrá rotos los labios,
Rojos los ojos
Y otro papel enemigo
Le dolerán los labios de haber besado tanto
Y le arderán los ojos como colillas encendidas
Y ese poema tampoco expresará su llanto.

En guise de conclusion.

Il y a quelque chose chez ces deux poètes qui nous attire. Ce ne sont pas seulement leurs versets, mais leurs tragédies. Serait-ce qu’elles confirment, peut-être, notre intuition que le génie va main dans la main avec la folie? C’est possible.
Dans tout les cas, il faut dire que la folie reste à jamais triste et amère. Je continue de croire que ces poètes que j’admire, le furent vraiment pendant qu’ils eurent toute leur tête. Le Raoul drogué, déambulant et mendigot qui paya mal tous ceux qui tentèrent de le sauver n’est pas le même que le Raoul du Triptyque. Le Nelligan de la Retraite Saint-Benoît et de Saint-Jean-de-Dieu n’est plus l’adolescent aux cheveux désordonnés, fiancé avec la poésie. Nelligan hospitalisé écœure. Gomez Jattin se fit méprisable à volonté. Que me pardonnent les revendicateurs de la misère humaine qui trouvent dans ces évènements une manière de justifier que quelqu’un puisse ou doive se rouler dans les cochonneries pour atteindre à la célébrité. Et je t’excuse humanité fragile qui escamotât Nelligan et qui ne donnât assez de force au pauvre Raoul pour se relever de ses malheurs.
De toute façon, depuis que Verlaine eut inventé en 1884 l’appellation «poètes maudits» sans trop percevoir la transcendance postérieure du terme, on continue à ainsi étiqueter les auteurs de vies tourmentées et d’écrits déchirants. Et l’expression nous plaît, elle garde quelque morbidité qui nous semble bonne. Elle va bien à Nelligan que, malgré les mystifications et au-delà d’elles, l’épreuve toucha despotiquement, mais qui sut capitaliser sur son déséquilibre pour vivre son rêve et l’écrire jusqu’à le prendre pour la réalité et s’y abolir (Roger Chamberland. Nelligan livré aux fauves de l’interprétation. 1993).
Quant à toi, poète compatriote, poète maudit, ou mieux, maudit poète! je te remercie pour ton conseil : «les poètes existent pour être lus sans faire attention à ce qu’ils font de leur vie». Ta poésie est poésie même au-dessus de toi et malgré toi. À toi ma reconnaissance et mes reproches.
Et pour tous ceux qui lisent ou liront, faites attention aux poètes.
Nelligan et Gomez Jattin : voici deux auteurs capables de nous secouer l’âme et de nous faire entrer dans les ténèbres transformées en beauté éternelle.

Ma traduction de la lettre de Pedro Casaldáliga au pape Jean-Paul II


J'aimerais offrir aux lecteurs francophones la traduction que j'ai faite il n'y a guère de la lettre que Pedro Casaldáliga, êveque catholique du Brésil a adressée au pape Jean-Paul II en 1986. Il s'agit d'une belle lecture de la réalité ecclésiastique présentée au pape par un évêque clarétain depuis un territoire missionnaire. Comme je n'ai pas trouvé de traduction en français je me suis mis à l'œuvre et voilà qu'aujourd'hui je vous la partage. Profitez-en.


Lettre de Pedro Casaldáliga au pape Jean-Paul II.

São-Félix-do-Araguaia, le 22 février 1986.
Fête de la Chaire de Saint Pierre.


Cher pape Jean-Paul II, frère en Jésus-Christ et pasteur de notre Église

Il y a longtemps que je voulais vous écrire cette lettre et il y a longtemps aussi que je la pense et la médite dans l’oraison.

J’aimerais qu’elle soit autant un colloque fraternel –dans la sincérité humaine et avec la liberté de l’Esprit- qu’un service d’un évêque à l’égard de l’évêque de Rome, qui est Pierre pour ma foi, pour ma coresponsabilité ecclésiale et pour ma collégialité apostolique.

Cela fait dix-huit ans que je suis au Brésil, où je vins volontairement comme missionnaire. Jamais je ne retournai dans mon pays natal, l’Espagne, même pas à l’occasion de la mort de ma mère. Jamais je ne pris de vacances pendant tout ce temps. Je ne sortis point du Brésil en dix-sept ans. Durant ces dix-huit ans je vécus et travaillai dans le nord-est de l’état de Matto Grosso, étant le premier prêtre qui s’établit de manière permanente dans cette région. Depuis quinze ans, je suis évêque de la prélature de São-Felix-do-Araguaia.

La région de la prélature est située dans l’Amazonie légale brésilienne et elle s’étend sur 150.000 km2. Encore aujourd’hui, elle n’a même pas un empan de route asphaltée. Le service téléphonique ne fut installé que récemment. La région reste fréquemment isolée ou avec des communications très précaires à cause des pluies et inondations qui paralysent les routes.

C'est un territoire de latifundia, nationaux et multinationaux, avec des haciendas agricoles de centaines de milliers d’hectares, avec des employés qui vivent fréquemment dans un régime de violence et de quasi-esclavage. J'accompagne depuis longtemps la vie dramatique des indigènes, des «posseiros» (agriculteurs sans titre de terre) et des péons (manœuvres du latifundium). Toute la population en général, dans la prélature, a été forcée de vivre précairement, sans service adéquat d'éducation, de santé, de transport, de logement, de sécurité juridique et, surtout, sans terre garantie pour travailler.

Sous la dictature militaire, le Gouvernement essaya, cinq fois, de m'expulser du pays. Quatre fois la prélature fut toute encerclée par des opérations militaires de contrôle et de pression. Ma vie et celle de plusieurs prêtres et agents de pastorale de la prélature a été menacée et mise à prix publiquement. À plusieurs reprises, ces prêtres, agents de pastorale et moi-même avons été incarcérés, voire torturés pour plusieurs d'entre eux. On emprisonna, maltraita et condamna à dix ans de prison le père Francisco Jentel, qui fut expulsé postérieurement du Brésil et mourut finalement exilé, loin de son pays de mission. Les archives de la Prélature furent violées et pillées par l'armée et par la police. Le bulletin de la Prélature fut édité de manière falsifiée par les organes de répression du régime et fut ainsi divulgué par la grande presse pour servir de charge d'accusation contre la même Prélature. À présent, trois agents de pastorale sont encore soumis à des processus judiciaires sous des fausses accusations. Je dus personnellement assister à des morts violentes, comme celle du père jésuite João Bosco Penido Burnier, assassiné à mes côtés par la police, alors que les deux nous nous présentions dans le commissariat-prison de Riberão-Joli pour protester officiellement contre les tortures auxquelles on soumettait deux femmes, paysannes, mères de famille, injustement arrêtées.

Tout au long de ces années, les incompréhensions et les calomnies des grands propriétaires terriens –dont aucun vit dans la région- et d'autres puissants du pays et de l'extérieur se sont multipliées. Même à l’intérieur de l'Église ont surgi quelques incompréhensions de la part de frères qui ne connaissent pas la réalité du peuple et de la pastorale dans ces régions séparées et violentes où le peuple, fréquemment, ne dispose que de la voix de l'Église qui essaye de se mettre à son service.

En plus de ces souffrances vécues dans la zone de la Prélature, en tant que responsable de la CPT (Commission Pastorale de la Terre) et membre du CIMI (Conseil Indigéniste Missionnaire), il m’a fallu accompagner de très près des tribulations et même la mort de tant d'indigènes, de campagnards, d'agents de pastorale et de personnes engagées avec la cause de ces frères, auxquels l'avidité du capital ne permet même pas de survivre. Parmi eux, l’Indien Marçal, guarani, qui vous salua personnellement à Manaüs, au nom des peuples indigènes du Brésil.

Le Dieu vivant, Père de Jésus sera celui qui va nous juger. Laissez-moi toutefois ouvrir mon cœur devant votre cœur de frère et de pasteur. Vivre dans ces circonstances extrêmes, être poète et écrire, maintenir des contacts avec des personnes en lien avec le monde des communications ou le monde de la pensée marginale (à cause de leur âge, idéologie, altérité culturelle, situation sociale, ou à cause des services d'urgence qu'ils rendent) peut parfois nous emmener à des gestes et postures moins communes et quelques fois incommodants pour la société établie.

En tant que frère et Pape que vous êtes pour moi, je vous prie d’accepter l'intention sincère et la volonté passionnément chrétienne et ecclésiale et de cette lettre et de mes attitudes.

Le Père m'accorda la grâce de ne jamais abandonner l’oraison, tout au long de cette vie qui est mienne, plus ou moins agitée. Il me préserva de tentations majeures contre la foi et la vie consacrée, et il me permit de compter toujours avec la force de mes frères à travers une communion ecclésiale riche de rencontres, études et aides. Certainement ce fut pour cela que je crois ne m’être point écarté du chemin de Jésus, et j'espère, pour la même raison, suivre jusqu'à la fin ce Chemin qui est la Vérité et la Vie.

Je regrette de vous déranger avec la lecture de cette longue lettre, quand tant de services et de préoccupations pèsent déjà sur vous.

Deux lettres du Cardinal Gantin, Préfet de la Congrégation pour les Évêques et une communication de la Nonciature que j'ai reçue naguère, m’ont amené finalement à vous écrire cette lettre. Les trois communications dont je parle, pressaient ma visite ad limina, interpellaient des aspects de ce qu’est la pastorale de la prélature et censuraient mon voyage en Amérique Centrale.

Je me sens un peu petit et comme distant dans cette Amazonie brésilienne si différente, et dans la cette Amérique Latine si troublée et fréquemment incomprise.

J'ai cru nécessaire de me faire précéder par cette lettre. Il m’a semblé que seul un contact paisible et personnel entre nous deux, aidé d’un document pensé et clair, me donnerait la possibilité de m'approcher vraiment de vous.

L'autre manière plus grande encore de nous rencontrer est déjà garantie: je prie pour vous à tous les jours, cher frère Jean-Paul.

Ne prenez point comme de l’impertinence l'allusion que je ferai aux sujets, aux situations et aux pratiques d’Église séculairement controversées et même contestées, surtout aujourd’hui où l'esprit critique et le pluralisme traversent fortement aussi la vie ecclésiastique. Aborder à nouveau ces affaires inconfortables, en parlant avec le Pape, c’est pour moi exprimer la coresponsabilité en me faisant le porte-voix de millions de frères catholiques -de beaucoup d'évêques aussi - et de frères non catholiques, évangéliques, d'autres religions, humains. Comme évêque de l'Église Catholique, je puis et dois apporter à notre Église cette contribution : penser à haute voix ma foi et exercer, avec une liberté de famille, le service de la collégialité responsable. Me taire, laisser passer, avec un certain fatalisme, la force de structures séculaires, serait beaucoup plus commode. Je ne pense point toutefois que cela soit plus chrétien, ni plus humain.

Il est vrai qu'en parlant, en exigeant des réformes et en prenant des positions nouvelles, on peut causer «scandale» aux frères qui vivent dans des situations plus tranquilles ou moins critiques. Mais nous pouvons aussi causer «scandale» à beaucoup de frères, situés dans d'autres contextes sociaux ou culturels, plus ouverts à la critique et désireux de rénovation dans l'Église –toujours une et «semper renovanda»- quand nous nous taisons ou que nous acceptons la routine ou que nous prenons des mesures univoques sans rien discriminer.

Sans «se conformer au monde», l'Église de Jésus, pour être fidèle à l'Évangile du Royaume, doit être attentive aux «signes des Temps» et des Lieux et annoncer la Parole dans un ton culturel ou historique et par un témoignage de vie et de pratique tels que les hommes et les femmes de chaque temps et lieu puissent comprendre cette Parole et soient stimulés à l'accepter.

En ce qui concerne concrètement le domaine social, nous ne pouvons pas dire avec beaucoup de vérité que nous avons déjà fait l'option pour les pauvres. Primo, parce que nous ne partageons pas dans nos vies et dans nos institutions la pauvreté réelle qu'ils éprouvent. Secundo, parce que nous n'agissons pas, face à la «richesse de l’iniquité» avec cette liberté et fermeté adoptées par le Seigneur. L'option pour les pauvres, qui n'exclura jamais la personne des riches -car le salut est offert à tous et à tous se doit le ministère de l'Église - exclut cependant le mode de vie des riches, «insulte à la misère des pauvres» et son système d’accumulation et privilège, qui nécessairement spolie et marginalise l'immense majorité de la famille humaine, des peuples et des continents entiers.

Je ne fis pas la visite ad limina, même après avoir reçu, comme d'autres, une invitation de la Congrégation pour les Évêques qui nous rappelait cette pratique. Je voulais et veux aider le Siège Apostolique à réviser la forme de cette visite. J'entends des critiques de beaucoup d'évêques qui la font, car même en reconnaissant qu'elle rend propice un contact avec les dicastères romains et une rencontre cordiale avec le Pape, elle se révèle incapable de produire un véritable échange de collégialité apostolique des Pasteurs des Églises particulières avec le Pasteur de l'Église universelle. On effectue de grandes dépenses, on établit des contacts, on accomplit une tradition. Mais accomplit-on néanmoins la Tradition du «videre Petrum» et d'aider Pierre à voir toute l'Église? L’Église n'aurait-elle pas aujourd'hui d'autres manières plus efficaces d'échanger, d'établir des contacts, d'évaluer, d'exprimer la communion des Pasteurs et de leurs Églises avec l'Église Universelle et plus concrètement avec l'évêque de Rome?

Je ne prétendrais jamais supposer que le Pape a une connaissance détaillée des Églises Particulières, ni lui demander des solutions concrètes pour la Pastorale de celles-là. C’est pour ceci que nous sommes, nous les Pasteurs respectifs, les ministres et les conseils pastoraux de chaque Église. C’est pour cela aussi qu’existent les Conférences Épiscopales qui, à mon avis et à celui de beaucoup d'autres, ne sont pas dûment valorisées et sont même omises ou injustement pointées du doigt, à cause de certaines attitudes, par quelques instances de la Curie Romaine. Si les Conférences Épiscopales ne sont pas «théologiques» ou «apostoliques» comme tels –elles pourraient de ne pas exister car l’Église a longtemps marché sans elles- «apostoliques» ou «théologiques» ne sont pas non plus, en elles-mêmes, les curies, y inclus la Curie Romaine: Pierre a présidé et régit l'Église, de manière différente, dans les diverses époques.

Le Pape a toujours besoin d'un corps de collaborateurs, comme en ont besoin d’ailleurs tous les évêques de l'Église, quoiqu’il devrait toujours être plus simple et plus participatif. Malheureusement, frère Jean-Paul, pour beaucoup d’entre nous, certaines structures de la Curie ne répondent point au témoignage de simplicité évangélique et de communion fraternelle que le Seigneur et le monde réclament de nous ; elles ne traduisent point non plus dans leurs attitudes, parfois centralisatrices et autoritaires, une catholicité véritablement universelle, elles ne respectent pas toujours les exigences d'une coresponsabilité adulte ni parfois même les droits fondamentaux de la personne humaine ou des différents peuples. Fréquemment, il ne manque pas dans certains secteurs de la Curie Romaine de préjugés, d'attention unilatérale aux informations ou même de positions, plus ou moins inconscientes, d'ethnocentrisme culturel européen face à l'Amérique Latine, à l'Afrique et à l'Asie.

Avec un esprit objectif et calme, on ne peut pas nier que la femme continue fortement à être marginalisée dans l'Église, i.e. dans la législation canonique, dans la liturgie, dans les ministères, dans la structure ecclésiastique. Pour une foi et une communauté comme celle de la Bonne Nouvelle qui ne distinguait plus «Juif et Grec, libre et esclave, homme et femme», cette discrimination de la femme dans l'Église ne pourrait jamais être justifiée. Des traditions culturelles ‘masculinisantes’ qui ne peuvent point annuler la nouveauté de l'Évangile expliqueront peut-être le passé, mais elles ne peuvent plus justifier le présent, ni moins encore le futur immédiat.

Un autre point délicat en soi et très sensible à votre cœur, frère Jean-Paul, c’est celui du célibat. Moi personnellement, n'ai jamais douté ni de sa valeur évangélique ni de sa nécessité pour la plénitude de la vie ecclésiale, comme un charisme de service du Royaume et comme un témoignage de la glorieuse condition future. Je pense, toutefois, que nous ne sommes pas compréhensifs ni justes avec ces milliers de prêtres, beaucoup d’entre eux en situation dramatique, qui compulsivement acceptèrent le célibat comme exigence, actuellement astreignante, du ministère sacerdotal dans l'Église Latine. Postérieurement, en raison de cette exigence jamais assumée et intégrée dans leur vie, ils durent laisser le ministère, et jamais plus ils ne purent régulariser leur vie, ni dans l'Église, ni, parfois, même devant la société.

Le Collège Cardinalice est privilégié, parfois, de pouvoirs et de fonctions qui peuvent difficilement être réconciliés avec ce que je viens de dire et avec les fonctions innées du Collège Apostolique des Évêques comme tel.

Des nonciatures, j’ai personnellement, moi, une triste expérience. Vous connaissez mieux que moi-même la persistante réclamation des conférences épiscopales, d'évêques, de presbytériums, de grands secteurs de l'Église, face à une institution si fortement diplomatique dans la société et, fréquemment, d’activité parallèle à celle des épiscopats.

Jean-Paul, mon frère, permettez-moi encore un mot de critique fraternelle au Pape même. Si traditionnels qu’ils soient, les titres «Très Saint Père», «Sa Sainteté» -ainsi que d'autres titres ecclésiastiques tels que «Son Éminence», «Son Excellence»- s'avèrent évidemment non seulement peu évangéliques mais même extravagants humainement parlant. «Ne vous faites point appeler père, ou maître» dit le Seigneur. Il serait également plus évangélique -et aussi plus accessible à la sensibilité actuelle- de simplifier le costume, les gestes, les distances, dans notre Église.

Je pense aussi qu’il serait très apostolique que vous demandiez une évaluation suffisamment libre et participative, de vos voyages, si généreux et même héroïques dans beaucoup d'aspects, et cependant tellement contestés -à mon avis, pas toujours sans motifs-. Ces voyages ne sont-ils pas nocifs pour l'Œcuménisme -témoignage de Jésus qui demandait au Père que nous ne fassions qu’un- et pour la liberté religieuse dans la vie publique pluraliste? N'exigent-ils pas, ces voyages, de grands gaspillages économiques de la part et des Églises et des États, revêtant ainsi l'Église Catholique, dans la personne du Pape, d’une certaine prépondérance et de privilèges civiques-politiques qui deviennent irritants pour d'autres?

Pourquoi ne pas réexaminer, à la lumière de la foi, en faveur de l'Œcuménisme et pour donner témoignage au monde, la condition d'État avec laquelle le Vatican se présente, en investissant la personne du Pape d'une dimension explicitement politique, qui nuit à la liberté et à la transparence de son témoignage de Pasteur universel de l'Église?

Pourquoi ne pas se décider, avec liberté évangélique et avec réalisme, à faire une rénovation profonde de la Curie Romaine?

Je sais la douleur que produisit votre voyage au Nicaragua. Et malgré cela, il est de mon devoir de vous confier une impression que beaucoup d’autres partagent aussi: vos conseillers et votre attitude ne contribuèrent point à ce que voyage, extrêmement critique, et nécessaire d'autre part, ait été plus heureux et, surtout, plus évangélisateur. On a ouvert une blessure dans le cœur de beaucoup de Nicaraguayens et de beaucoup de Latino-américains, de même que vous aussi vous êtes senti blessé dans votre cœur.

L'année passée je suis allé au Nicaragua. Ce fut ma première sortie du Brésil après dix-sept ans de permanence dans ce pays-ci. Par l'amitié que j'ai, depuis longtemps, avec beaucoup de Nicaraguayens, grâce à des contacts personnels ou épistolaires, je sentis que je devais y être présent, en tant que personne humaine et en tant qu’évêque de l'Église, dans leur heure d'agression politico-militaire gravissime et de souffrance interne profonde.

Je ne prétendis point remplacer l’épiscopat local ni le sous-estimer. Je crus cependant que je pouvais et même je devais aider à ce peuple et à cette Église-là. Ainsi le communiquai-je par écrit aux évêques du Nicaragua, dès mon arrivée. J’essayai de converser personnellement avec certains d’entre eux, mais je ne fus point reçu. La hiérarchie nicaraguayenne est ouvertement d'un côté; de l'autre côté il y a des milliers de chrétiens auxquels l'Église se doit aussi.

Je pense sincèrement que notre Église -je me sens, moi aussi, Église du Nicaragua, en tant que chrétien et en tant qu’évêque de l'Église - ne donne pas officiellement dans ce pays souffrant, et cela avec des répercussions négatives pour la toute Amérique Centrale, les Caraïbes et pour l’Amérique Latine au complet, le témoignage qu'elle devrait donner: condamnant l'agression, préconisant l'autodétermination de ces peuples-là, consolant les mères des morts et célébrant, dans l'Espoir, la mort violente de tant de frères, catholiques pour la plupart.

L’Église ne peut-elle pas dialoguer d’une façon critique avec le socialisme ou avec le sandinisme tout comme elle doit aussi d’une façon critique dialoguer avec la réalité humaine? L'Église pourra-t-elle cesser de dialoguer avec l'Histoire? Mais non. Elle dialogua avec l'Empire Romain, avec le féodalisme, et dialogue, avec plaisir, avec la bourgeoisie et avec le capitalisme, bien de fois sans critique, comme elle a dû le reconnaître à la suite d’évaluations historiques postérieures. Ne dialogue-t-elle pas avec l'Administration Reagan? L'Empire américain mérite-t-il davantage la considération de l'Église que le pénible processus par lequel le petit Nicaragua prétend être finalement lui-même, en risquant et même en se trompant, mais en restant lui-même?

Le danger du communisme ne justifiera point notre omission ou notre connivence avec le capitalisme. Cette omission ou cette connivence pourront «justifier» dramatiquement un jour, la révolte, l'indifférence religieuse ou même l'athéisme de bien des gens, surtout parmi les militants et les nouvelles générations. La crédibilité de l'Église -et de l'Évangile et de Dieu le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même- dépend, en grande partie, de notre ministère, critique, oui, mais compromis avec la Cause des pauvres et avec les processus de libération des peuples séculairement dominés par de successifs empires et oligarchies.

Vous, comme polonais, vous êtes en condition très personnelle de comprendre ces processus. Votre Pologne natale, si souffrante et forte, frère Jean-Paul, tant de fois envahie et occupée, privée de son autonomie et menacée dans sa foi par des empires voisins (la Prusse, l'Allemagne nazie, la Russie, l’Empire Austro-Hongrois) est sœur jumelle de l'Amérique Centrale et des Caraïbes, tant de fois occupés par l'Empire du Nord. Les Etats-Unis envahirent le Nicaragua en 1898 et avec ses marines l’occupa de nouveau de 1909 à 1933, en laissant derrière eux une dictature qui dura jusqu’en 1979. Haïti fut sous occupation de 1915 à 1934. Porto Rico continue d’être occupé de nos jours, depuis 1902. Cuba souffrit plusieurs fois des invasions et des occupations, ainsi que les autres pays de la région, spécialement le Panama, le Honduras et la République Dominicaine. Plus récemment la Grenade endura le même sort. Les États-Unis eux-mêmes, exportent vers ces pays ses sectes qui divisent intérieurement le peuple et menacent la foi catholique et la foi d'autres Églises évangéliques... établies là-bas.

Je sais aussi vos préoccupations apostoliques en ce qui concerne notre Théologie de la Libération, les Communautés chrétiennes dans les milieux populaires, nos théologiens ou nos rencontres, publications et autres manifestations de vitalité de l'Église en Amérique Latine, d'autres Églises du Tiers-Monde et de quelques secteurs de l'Église en Europe et en Amérique du Nord. Ce serait comme ignorer votre mission de Pasteur universel de prétendre que vous ne vous informez pas et que vous ne vous préoccupez pas de tout ce mouvement ecclésial ; à plus forte raison quand l'Amérique Latine, concrètement, représente presque la moitié des membres de l'Église Catholique.

De toute façon, une fois de plus, je m’excuse de vous exprimer un mot ressenti sur la manière dont sont traités par la Curie Romaine notre Théologie de la Libération et ses théologiens, certaines institutions ecclésiastiques –même la CNBB quelques fois-, des initiatives de nos Églises et quelques souffrantes communautés de ce continent-ci ainsi que leurs animateurs.

Devant Dieu je puis vous donner le témoignage des agents de pastorale et des communautés avec lesquelles j’ai établi des contacts au Nicaragua. Ils n'ont jamais prétendu être des Églises «parallèles». Ils n'ignorent point la hiérarchie dans ses fonctions légitimes, et ils ont conscience d’être Église, manifestant une volonté sincère de rester en elle. Pourquoi ne pas penser que certaines causes de ce type de conflits dans le domaine pastoral puissent aussi provenir de la hiérarchie? En fait fréquemment, nous, les membres de la hiérarchie, ne reconnaissons pas les laïques comme adultes et coresponsables dans l'Église, ou nous voulons leur imposer des idéologies et des styles personnels, en exigeant uniformité ou en nous retranchant dans le centralisme.

Je viens de recevoir la dernière lettre du Cardinal Gantin, préfet de la Congrégation pour les Évêques. Monsieur le Cardinal, parmi d'autres avertissements, m’y rappelle maintenant la visite apostolique que je reçus et que reçut la prélature de São Félix do Araguaia en 1977. Je veux simplement vous communiquer que cette visite fut provoquée par des inculpations ou des calomnies d'un frère dans l’épiscopat; que le visiteur apostolique resta à peine quatre jours à São Félix, sans visiter aucune communauté, acceptant seulement de parler avec très peu de gens et regardant les Archives de la Prélature, même lorsque nous le sollicitâmes de ne pas le faire. Ni lui, ni la nonciature, ni le Saint-Siège, jamais ne me communiquèrent les conclusions de cette visite, même si je l’ai sollicité expressément.

Je veux, finalement, vous réaffirmer, cher frère en Jésus-Christ et Pape, l’assurance de ma communion et ma volonté sincère de continuer avec l'Église de Jésus, dans le service du Royaume. Je laisse à votre jugement de Pierre de notre Église, de prendre la décision que vous jugerez opportune sur moi, évêque aussi de l'Église. Je ne veux point créer de problèmes inutiles. Ce que je veux c’est aider, de manière responsable et collégialement, à faire avancer la mission évangélisatrice de l'Église, particulièrement ici au Brésil et en Amérique Latine. Parce que je crois à l'actualité éternelle de l'Évangile et à la présence toujours libératrice du Seigneur Ressuscité, je veux croire aussi à la jeunesse de Son Église.

Si vous le considérez opportun, vous pouvez m'indiquer une date appropriée pour que j’aille vous visiter personnellement.

J’ai confiance à votre prière de frère et de Pontife. Je laisse dans les mains de Marie, Mère de Jésus, le défi de cette heure. Je vous réitère ma communion de frère en Jésus-Christ et, avec vous, je réaffirme ma condition de serviteur de l'Église de Jésus.

Avec votre bénédiction apostolique,

Pedro Casaldáliga,
évêque de São Félix do Araguaia, MT, Brésil.

Cáustico


L’ISLAM ET LA SOCIÉTÉ POSTMODERNE : CONFRONTATION, DIALOGUE ET CHEMINS DE CONCILIATION.

Lénine Pineda-Canabal

Prolégomènes.

Il me faut commencer en disant que j’eus l’intention d’écrire le texte que voici il y a quelques mois. Pendant le dernier Ramadan, un midi quelconque, je fus impressionné, voire ému, par la piété d’un ami égyptien que j’avais connu auparavant : visiblement recueilli, il lisait, dans un coin, le Coran. Souvent, il arrêtait sa lecture et levait légèrement son visage –ses yeux fermés- en faisant ce que j’assumai être une prière. Étonné par son geste, un impulsion de foi me fit aussi prier le Dieu chrétien, celui dont j’étais, d’une certaine façon, héritier par ma tradition culturelle et ma propre expérience, mais qui était néanmoins une espèce d’acquis accepté et enraciné dans mon imaginaire personnel.

Ce fut alors que, dans cette salle X –presque vide- et dans cette inusitée sensation d’absolu, je conçus prendre quelques idées d’un travail précédent et les fignoler un peu ; mais, avec tout ce que bouille dans m a tête, peu s’en est fallu de les réécrire en totalité. Voici le résultat :

Parler de l’Islam n’est pas si facile et moins encore quand les sensibilités sont si diverses et les opinions semblent quelques fois dures et inflexibles. La tâche est davantage périlleuse quand celui qui parle est non seulement quelqu’un inscrit dans la tradition occidentale, mais aussi chrétien, catholique et pratiquant ; c’est-à-dire quelqu’un qui confesse aussi la foi dans le Dieu Unique, Tout-Puissant et Miséricordieux (tout comme un musulman) mais incarné et fait homme en Jésus-Christ.

C’est situé dans cette perspective que je viens exprimer quelques opinions sans présumer être un expert dans la matière.

Comme je ne suis point Benoît XVI qui souleva à Ratisbonne un tapage de tous les diables pour avoir parlé –presque tangentiellement- de la djihad ou guerre sainte ; comme je ne suis point le cinéaste hollandais Théo Van Gogh qui fut assassiné pour des raisons pas trop claires mais certainement après avoir parlé des arabes -dans une diatribe sur la situation des femmes au Moyen-Orient- comme étant des ‘baiseurs de chèvres’ et en les qualifiant en plus avec d’autres titres similaires dans son style grossier et typique d’exercer son droit à la liberté d’opinion dans son pays; comme je suis tel que je suis : un auteur marginal, j’espère pouvoir me donner le luxe de dire aisément les choses en toute franchise et confiance au lecteur ou lectrice.

État de la question.

Dans la conjoncture historique actuelle on peut même dire que l’Islam est à la mode. Après la chute du mur de Berlin en 1989, récupérant relativement ainsi un ample territoire ennemi pour l’Europe moderne et civilisée, des mains accusatrices pointent constamment le sud et l’est pour nous dire que, très proche, il y a une autre horde barbare marquée par le fanatisme religieux et qui reçoit cette fois-ci le nom d’Islam[1]. On pourrait dire que le fait de chercher des coupables et de détecter des ennemis a été une constance dans le développement historique des peuples, et encore davantage dans une époque comme la nôtre si pleine d’hystéries collectives. Dans ce qui nous occupe, cette sensation menaçante est devenue plus intense après les événements du mémorable 11 septembre 2001.

En effet, après la finalisation de la guerre froide et grâce aux dynamiques actuelles de la société de l’information, le monde islamique est de plus en plus objet d’attention et de préoccupation pour la société d’Occident avec laquelle il a commencé à établir des liens qui, même aujourd’hui, restent fragiles et rudimentaires. En vérité, pour ce côté du monde accoutumé à penser à la grecque, à gouverner à la romaine et à croire à la chrétienne il est difficile de découvrir la richesse d’une culture, une cosmo-vision et un mode de compréhension de la vie et de la société actuelles différents et parfois même opposés radicalement. Dans le fond du conflit il y a un élément qui sous-tend les autres composantes politiques, économiques ou sociales qui l’atténuent ou l’aggravent : c’est la religion. Il n’y a pas de culture musulmane sans religion musulmane. A la base même de ces peuples on trouve indissolublement unie la profession d’une même foi. Bien qu’il soit certain aussi qu’on peut comprendre l’islamisme sans le lier à aucune nation ou institution séculière, il n’est pas moins certain que pour concevoir les nations du sol musulman il soit indispensable de penser à l’Islam. Cela ne vaut incontestablement pas pour l’Occident, héritier de la tradition chrétienne et d’un passé où tant de fois, l’histoire de l’Église n’est pratiquement pas différentiable de l’évolution du reste des institutions sociales et du développement politique, culturel et économique, mais peu à peu devenu indépendant d’une doctrine qui est aujourd’hui mise entre parenthèses et contestée dans bien des niveaux de l’agir social.

Aussi, historiquement, tandis que le christianisme pénétra dans l’ordre préétabli de l’Empire Romain apportant ses valeurs, sa conception du monde, sa ‘Weltanschauung’ –pour être fidèle au terme diltheyen[2]- l’Islam créa pratiquement un peuple à partir du néant. Effectivement, depuis son apparition au VIIe. siècle, la religion devint le nerf unificateur d’un peuple qui vivait majoritairement isolé du reste du monde sur son sol inflexiblement aride. Ce fut dans là, dans une ambiance pareille que, par la prédication de Mahomet, depuis l’Arabie et «doués de la nouvelle expérience du Sempiternel et Tout-Puissant Allah et équipés que de cela»[3], les fils de la nouvelle croyance se lancèrent à la construction et à la conquête d’un Empire qui, cent ans après la mort du prophète, s’étendait des confins de l’Indus jusqu’aux rochers espagnols qui fermaient la terre à cette époque-là.

Déjà ceci nous montre que nous introduire dans le riche horizon culturel et religieux musulman signifie en plus générer en dernier ressort des dynamiques d’auto-compréhension de notre être latino-américain. Car, il faut constater que l’Espagne conquérante et colonisatrice qui, au XVe siècle s’élança dans l’immense entreprise aux prétentions impérialistes sur le Nouveau Monde, était une Espagne métisse : elle avait vu le jour au milieu d’une chrétienté arienne et de sa conséquence antagoniste : le courrant athanasien; dans un Occident peuplé d’hérésies et de confusions immenses, auquel se joignit au VIIe siècle une nouvelle composante qui vint compléter tout une mosaïque de races et qui finit par configurer ce dont plus tard nous hériterions : l’élément arabe. Juste pour nous faire une idée des traces ineffaçables que cela nous laissa, on peut trouver dans le dictionnaire castillan le non méprisable chiffre approximatif de 4000 mots dont l’étymologie provient de la langue mauresque. D’ailleurs, tel qu’il est souligné par Martínez Lorca, pendant le Moyen Âge s’étaient installés dans la péninsule ibérique quelque 50,000 arabes et quelque 200,000 berbères[4], ce qui démontre que la culture musulmane a toujours été, hier et aujourd’hui, une culture en diffusion, héritage peut-être de son ancienne et naturelle condition nomade et commerciale.

Principes fondamentaux.

Une première approche de cette culture dévoile son fort sens de l’unité, si fermement encré dans l’imaginaire social. En effet, le premier, principal et presque unique principe théologique musulman est celui de la très parfaite unicité divine synthétisé dans la Shahãda ou profession de foi musulmane qui accompagne la vie quotidienne du croyant et qui se résume dans la maxime : «Seul Allah est Dieu et Mahomet est son prophète». Cette sacro-sainte unité divine est exprimée dans la vie politique de la communauté islamique, la «Umma» qui surpasse nationalité, sexe, race ou condition sociale et qui en certains points s’approche de l’idée chrétienne de Œcoumène. Cette Umma musulmane est fondée sur le sentiment profond d’appartenance à une même identité et à une même histoire[5].

Toutefois, à mon avis c’est par là que commence le choc avec le monde occidental qui affirme et préconise la pluralité. C’est cette vigoureuse affirmation du nous qui, à la fin, dans les circuits radicaux, devient exclusive et fermée et constitue le premier objet de scandale au moment actuel.

«Seul Allah est Dieu et Mahomet est son prophète» est l’affirmation fondamentale à laquelle la foi exige plus que l’adhésion, elle exige la soumission. En fait, le mot musulman en langue arabe signifie «celui qui se donne», ou encore : soumis, soumission. Ainsi donc, la vision anthropologique islamique conçoit un homme obéissant à Dieu, et jaloux de ses valeurs et observateur des préceptes et lois divins. Dans ce point, je découvre une opposition radicale entre l’anthropologie chrétienne et musulmane, la première étant non pas un doctrine de la soumission mais se présentant comme une doctrine de la libération. C’est cette idée, propre à la vision chrétienne du monde et à la réalité humaine qui a forgé la conception anthropologique occidentale.

Or, l’emphase doctrinale mise dans cette soumission dont on parle, tant de fois convertie en passive, incontestée et grégaire homologation sociale, a fini par étouffer les élans émancipateurs propres à la société occidentale qui conçoit un homme debout, tenant bon et supportant le poids tragique de la vie et de ses choix personnels, même si, pour utiliser l’argot existentialiste, le ciel était vide. Pour cette raison, la liberté d’opinion, de culte et de pensée est vue avec peur et défiance par la société islamique, qui fonde tacitement et paradoxalement son unité et son assemblage sur la limitation à l’exercice de ces libertés.

Perspectives.

Jusqu’à présent, l’Islam n’a point vécu son Siècle des Lumières, n’a point été attaqué ni ébranlé dans ses mêmes bases par des penseurs surgis de son sein même, tel que cela se passa avec la société européenne, surtout après la Renaissance. Tout cela, axé sur une forte éthique, a fini par asphyxier le logos.

C’est pourquoi, pour la société occidentale postmoderne qui a mis en crise les vieux metarelats, abandonnant les conceptions qui se présument «omnicompréhensives» et optant, d’après les paroles de Vattimo[6], pour le développement d’une «pensée faible» qui a la saveur d’humble doute né de la perte des certitudes absolues et ultimes et de tout ce qui a l’air stable ou inchangeable, apparaît, comme un flagrant retard culturel, archaïque et incompatible avec notre mentalité, les conduites telles que les vésaniques réponses -incluant des actes de violence et de vandalisme en réponse à n’importe quel mot, opinion ou caricature considérés irrespectueux-, les lapidations ou mutilations, la criminalisation de l’homosexualité, la reconnaissance d’un statut inférieur des femmes et même le refus de la démocratie[7], conduites réitératives et caractéristiques de plusieurs pays du Moyen Orient, surtout de ceux dont l’influence de la religion dans la sphère politique est accrue.

Néanmoins, faut-il penser que la doctrine islamique est incapable de s’adapter aux défis offerts par la sensibilité postmoderne? Plus encore, un dialogue ouvert et serein avec l’Occident et une plus grande ouverture face à certains thèmes tabous, surtout ceux qui touchent à l’exercice des libertés fondamentales ne signifieraient-ils pas une commotion de la doctrine et des principes si véhémente qui ôterait ou tout au moins défigurerait de manière grave le vrai visage de la foi révélée originelle?

Une chose est certaine : tel que Benoît XVI, qui s’est retrouvé, il y a peu, au centre d’un grand remous de sentiments et réactions lors de son voyage en Allemagne, l’a rappelé, «le monde musulman se trouve aujourd’hui, avec urgence, devant une tâche très similaire à celle qui fut imposée au christianisme à partir du temps de l’Illuminisme[8]». Ce qui veut dire apprendre à vivre –pour nous référer à nouveau à Vattimo- «le tourment de la multiplicité», ou encore dans les mots de Rahner «la foi en diaspora», celle qui est la grande survivante de la mondanité postmoderne et qui n’empêche jamais la critique, mais l’accueille dans l’humilité et dans la disposition toujours accrue de vouloir croître vers une humanité plus pleine et plus insigne.

Cette besogne qui suppose un aggiornamento presque palingénésique pour beaucoup de factions de la religion peut être seulement l’œuvre d’une relecture moderne des textes fondateurs depuis une perspective herméneutique dialoguiste, humaniste et béante que, «en même temps qu’elle conteste la dictature de la raison positiviste qui exclut Dieu de la vie communautaire et de la sphère publique, accueille les vraies conquêtes de l’humanisme, les droits de l’homme et spécialement la liberté de la foi et son exercice»[9].

Cette relecture moderne doit nécessairement conduire en plus à une purification de la mémoire et du passé et à la recherche sincère de la paix mondiale, vraie Guerre Sainte de tous ceux qui confessent le Dieu Tout-Puissant et Miséricordieux qui parla aux hommes à travers ses prophètes, tel que reconnu par le dogme islamique.

Seulement de cette manière, l’Islam pourra devenir au moment présent la force intellectuelle qu’il fut au Moyen Âge. Car, pour faire honneur à la vérité, si l’on se met à réviser l’histoire rien qu’en Espagne, puisqu’elle me semble plus proche et plus mienne, à deux siècles de son arrivée, commença à fleurir dans la mauresque Andalousie, une ahurissante constellation de savants : scientifiques, médecins, poètes, historiens et philosophes, à tel point qu’aucun pays européen ne pouvait rivaliser à cette époque-là avec l’Hispanie musulmane[10]. Donc, pendant que l’Espagne du nord était fermée, monacale et ankylosée, sa voisine du sud était ouverte et joviale et d’un développement ostensiblement plus grand et plus notable.

Entre-temps la chrétienté nordique du Vieux-Monde, bien qu’audacieuse et religieuse, était encore inculte et rude. Ce n’est que dans une phase très postérieure que se produiraient des intellectuels dignes de se comparer, par la taille et l’intérêt général, avec les Athéniens et les Alexandrins d’un passé antique et glorieux[11]. Pour le moment c’étaient les maures qui déployaient toute une vraie pléiade d’hommes de science et de savoir reconnus, pendant que, en douceur, l’énorme glèbe barbaresque du septentrion européen marche lentement sous l’égide et le patronage de l’Église Catholique vers son organisation et son développement constaté des siècles plus tard.

On a l’impression qu’une apogée semblable resta pétrifiée quelque part dans l’histoire du peuple arabe, quand la culture musulmane se blinda sous une léthargie qui semble avoir transformé les mille et une nuits du beau classique de la prose du Moyen Orient en mille et une ans complets dont chaque fois il est de plus en plus appelé à s’en sortir.

Certes, le panorama est encourageant, même parmi les multiples clairs-obscurs : un contact plus grand, plus riche et plus fréquent s’est établi entre les pays musulmans et des régions entières de l’Europe et de l’Amérique par exemple, notamment en conséquence des forts flux migratoires des décades des années soixante et soixante-dix[12] et encore actuellement. La relève logique des générations transforme peu à peu les sensibilités.

Toutefois, c’est dans la lente mais progressive conformation d’élites intellectuelles musulmanes dans des territoires neutres que se trouve la force la plus précieuse, même si ces élites sont à court d’appui des États lorsque leurs propos touchent le cadre juridique et réclament des transformations. Le cas de la Turquie, prétendant être un État laïque moderne dans un milieu fort mahométan, disposé à vaincre certaines méfiances et prêt à aller plus loin dans le fait de garantir le pluralisme et la démocratie en vue d’une possible annexion à l’Union Européenne, pourrait se convertir en modèle pilote et en exemple à suivre.

De son côté, l’Occident, libéré des préjudices qu’identifient l’Islam avec certaines factions religieuses inscrites dans un fondamentalisme net et exacerbé ou avec le terrorisme et les organisations qui l’organisent et le promeuvent systématiquement, doit offrir sa collaboration sincère, même au niveau des politiques des états, pour trouver une solution aux conflits internes des nations. Ce sera un labeur d’honneur des intellectuels de contester tout regard monolithique et réductionniste sur le milieu socio-religieux musulman comme culture toujours liée à la violence.

En dernier lieu, le dialogue inter-religieux entre chrétiens et musulmans doit s’offrir comme une recherche commune de la juste solution des problèmes. La déclaration Nostra Ætate, il y a à peu près cinquante ans, affirma dans un paragraphe qui conserve d’ailleurs toute sa fraîcheur et actualité, une vérité dont il n’est pas superflu de nous souvenir à l’heure de terminer cet écrit :

«L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi, ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.

Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté[13]».


[1] Cf. ABULMAHAM, Monserrat. Islam. In : 10 palabras claves sobre fundamentalismos.
[2] Wilhelm Dilthey. Philosophe allemand du début du XXe siècle.
[3] VENTURA, Nuri. Historia del Arte. In: Enciclopedia Superior para el bachillerato y la Universidad 5. p. 151
[4] Voir: Martínez Lorca, Andrés. La filosofía en Al-Andalus: una aproximación histórica. In: Ensayos sobre la filosofía en Al-Andalus. Anthropos. Barcelone. 1990. p. 14-22
[5] CHEBEL, Malek. Islam, ce que je crois. In : Le point. 1er. Trimestre 2005. p. 102.
[6] Henri Vattimo, philosophe d’origine italienne.
[7] Voir à ce sujet : REDEKER, Robert. L’islamophobie, l’arme des islamistes contre la laïcité. Texte publié dans le journal «La Dépêche du Midi» le 21 octobre 2003. www.robertredeker.net
[8] Benoît XVI. Discurso alla curia romana in occasione della presentazione degli auguri natalizi. Déc. 22 de 2006. www.vatican.va
[9] Ibid.
[10] MARTÍNEZ LORCA, Andrés. La filosofía en Al-Andalus: una aproximación histórica. In: Ensayos sobre la filosofía en Al-Andalus. Anthropos. Barcelone 1990. p. 21.
[11] Ibid.
[12] Voir : Roy, Olivier. Islam en Occidente. ¿La occidentalización del Islam?. Conférence prononcée à Madrid, le 16 mai 2005. www.mediterraneas.org
[13] Nostra Ætate 3. www.vatican.va

Sartre au-delà de cent ans.

Aujourdhui, assis à mon bureau je crois réaliser un rêve que je traîne il y a longtemps. À la moitié de mes études en Philosophie on nous proposa le livre de Juan Alfaro ‘De la question de l’homme à la question de Dieu’, un étude sur l’anthropologie contemporaine qui cherchait à présenter les manières à travers lesquelles celle-ci répondait à la question sur Dieu. On était invité parcourir le plus select des auteurs dans une liste incluant entre autres, Marx, Nietzsche Heidegger, Wittgenstein, Blochst et Sartre. Dans ce dernier je trouvai une pensée qui réussissait à toucher quelque fibre de ma jeunesse : une pensée implacable et dévastatrice, cohérente jusqu’à l’abjection et à la fois simple et complexe. Les vacances d’été que suivirent, j’achetai ‘La Nausée’, que je trouvai dans l’étagère d’une papeterie scolaire à Carthagène. Comme le livre était un peu abîmé, et l’édition était dépourvue de toute renommé et pleine d’erreurs de typographie, je réussi à l’avoir à très bon marché, chose qui sembla parfaite à ma poche d’étudiant, si souvent habituée à faire des économies. J’avais déjà un bon plan pour tuer le temps chaud de juillet.

Le deuxième livre de Sartre que tomba dans me mains fut ‘L’être et le néant’, dans une édition vaillamment traduite au castillan et faite à Buenos-Aires par l’éditoriale Losada. Cette fois ce fut un ami qui le trouva pour moi; peu après je sus quil l’avait volé, arguant que cette sorte de littérature n’était réservé qu’à quelques-uns et ce livre ne faisait que décorer avec sa voluminosité, la bibliothèque de son propriétaire que jamais l’avait lu, ni jamais allait le lire. Peut-être il avait raison : l’ouvrage était une libelle de plus de sept cents pages, écrites dans un langage obtus le suffisamment abstract comme pour se sentir tenté à abandonner sa lecture après la quinzième page. Mais, après cette preuve de feu, vinrent ‘Les mots’, ‘Le diable et le bon Dieu’, ‘La putaine respectueuse’, ‘L’imaginationet quelques autres, car j’avais décidé faire de Sartre l’object de ma recherche finale, avant la finalisation du premier cycle. Les visites à la grande Bibliothèque de l’Université d’Antioquia, deuxième étage, se multiplièrent et les longues sessions de rédaction occupèrent les nuits dans ma chambre (refroidie et humidifiée par les conditions météorologiques si propres aux Andes colombiens), alors marasme haché de livres, revues, feuilles et cahiers de brouillons improvisés.

Tout ce que je lus à ce moment- sur le sujet était en castillan et je dus rejeter bien de livres ne disponibles qu’en langue française. Quand je envisageai de commercer étudier le français spontanément la première pensée se dirigea vers les grands titres, noms, expressions et néologismes que je connaissait et employait couramment dans une désastreuse prononciation qui enfreignait les normes minimales de la phonétique française. Apprendre français serait magnifique, me dis-je, car je pourrai trouver Sartre, Beauvoir, Camus, Nizan ou Merlau-Ponty, comme dans une puits premier, sans l’intervention de traductions que n’arrivent point à exprimer les petites subtilités idiomatiques qui tant de fois rendent beau et captivant un écrit.
Aujourdhui que je peux parler à Sartre et de Sartre dans son propre langage, je réalise donc un rêve personnel que je m’était imposé.

Les notes et réferences quapparaîtront dans ce texte ont été rédigées originellement en français. Comme malheureusement je ne les ai que traduites en espagnol, je devrai les retraduire avec mes propres mots.

L’existentialisme et son époque.

Le XXe. signifia carrément pour l’histoire humaine un de ses périodes plus dramatiques, obscures et confuses en même temps quil vit surgir des nouveaux idéaux, des nouvelles perspectives, et des nouvelles formes de vie qui paressaient avoir dépassée les anciennes.

Sans aucun doute, les deux guerres mondiales, l’exploration de l’espace cosmique, l’avènement de la globalisation, et l’essor des systèmes informatiques et les communications ont généré des forces diverses qui parachevèrent une nouvelle géopolitique, une nouvelle économie et une véritable techno-science.

Dans la sphère philosophique on pourrait dire que le panorama qui s’ouvrit pour les dernières générations ne fut vraisemblablement pas le plus encourageant. En effet, tel que souligné par A. Pintor-Ramos, la philosophie a pris des caractéristiques semblables à celles d’une énorme tours de Babel dans laquelle parlent sans se comprendre, les courants, idées et penseurs le plus dissimilaires et lointains (entre s.

On peut en plus penser que, dans une époque de crise dépersonnalisante, pillarde des identités et au milieu d’une société que vit s’effondre l’idéal hégélien et positiviste de l’histoire comme progrès sans fin, telle que le XXe. siècle, l’existentialisme se profila comme une réponse aux situations des générations proches du temps de la post-guerre dont il paraît bien quon vient de s’en sortir, un plat du somptueux banquet servi avec des matisses propres et irremplaçables.

Compte tenue de l’histoire, l’existentialisme peut être perçu comme un produit germanique qui vit le jour dans les années du début de la répression nazi et à propos des œuvres de Jaspers et Heidegger. À l’origine il se esquissa comme une philosophie académique formulée dans un langage suffisamment abstract pour demeurer voilée au commun de la société d’alors que manquât d’une formation académique minimale.

Nonobstant, son entrée dans l’ambiant cultural latin supposa une diffusion à échelle mondiale des intuitions basiques du premier période, parsemé de la phénoménologie husserlienne et maintenant (alors ?) enrichi par la multiplicité des genres littéraires et dramatiques à côté de la talentueuse habileté des auteurs, principalement italiens et surtout français, dont les pays avait connu l’horreur et la désolation de la deuxième guerre.

Ceci nous démontre que les nuances acquises par le courant existentielle au long du siècle passé furent hétérogènes et éclectiques. Tel qu’une pandémie héritée de la guerre, l’existentialisme en tant que «mode» infecte l’art, la prose, le théâtre, la philosophie, la théologie et la vie ordinaire de tout une période de l’histoire contemporaine, tragique bien sûr, que n’avait devant soi que le colossal projet de reconstruire, parmi les ruines, une société avec perspectives de sens tout à fait nouvelles.

Ce fut ainsi que, sous un même drapeau, chrétiens et athées se sont lancés à la défense de la subjectivité menacée et de cette société que, pour le moment, paraissait être sans nord et dans laquelle, le sens vital résultait revêche face à l'anxiété du futur qui s’entrevoyait aduste pour un être humain qui avait appris d’effectives manières de s’autodétruire.

Un des champions d’un pareil triomphe fut, entre autres, le parisien Jean Paul Sartre. Avec lui, la pensée existentialiste se vulgarise comme aucune autre courant de pensée l’avait fait auparavant, tout au moins, en philosophie.

Sartre vingt-cinq ans après.

L’année 2005 célébra le centenaire de la naissance et le vingt-cinquième anniversaire de la mort de ce penseur commandant du mouvement existentialiste français et, d’une certaine façon, directeur spirituel de la jeunesse européenne depuis le deuxième moitié du décade des année quarante, jusquau frénésie affolant de l’inoubliable mai 68.

Sartre, pour parler métaphoriquement, se révèle comme une luminaire qui expédie des éclats spéciaux pour beaucoup de générations de jeunes philosophes. En fait, Christian Descamps le met comme l’aïeul de toute une fournée d’écrivains français tel que Foucault ou Deleuze et c’est mérité si on a en compte l’infatigable activité politique et sociale que remplit et l’ample radio d’action que fut capable de atteindre, au long de sa carrière.

Une occasion quelconque, un néophyte pourrait même s’enfouir de la biographie d’un auteur choisi, ou éventuellement lire entre les lignes de n’importe quel texte, une localisation oisivement abrégée des circonstances que entourèrent sa production scientifique, littéraire ou philosophique ou encore les esquisser brièvement pour s’introduire vite dans le gros de la pensée. Sartre, par contre, puisque s’offre a qui le lui approche comme un fils parfait de son temps et contexte, attentif à ses demandes et empressé de ses nauséabondes misères, ne pourrait pas être soustrait des tragédies et luttes de son époque, sans affecter gravement l’intégrité de son œuvre ni commotionner aussi ses bases avec la possibilité d’élaborer des jugements équivoques sur sa personne, sa pensée et son importance.

En plus de se présenter comme total compagnon des aspirations de sa génération, ses trait dénotent un intellectuel profondément honnête avec soi-même et solidaire avec la collectivité de son époque. Sartre donc, s’éprend, écrit, se trompe, se passionne d’une idée (par une idée), écrit à nouveau et écrit encore pour la rectifiant ou la raréfiant davantage, mais jamais reste tranquille dans la commodité de son appartement, acagnardé à son bureau gribouillant inoffensifs petits ouvrages pleins adresse logorrhéique ou de simple vulgarité quotidienne.

C’est pour ces raisons et pour beaucoup d’autres omises o inconnues que, à l’heure d’affronter le sartrisme, tout étudiant, historien ou simple lecteur, se trouve face à une pensée dont son impact fut accru parles multiples activités proches du philosophe : politique, vie militante, journalisme et surtout, littérature.

Encore quelqu’un pourrait objecter qu’un essai qui pose à nouveau un regard sur le thème déjà assez mâché de l’existentialisme et quiconque le représente est à court d’importance et intérêt à la banalisation quil a souffert ces derniers temps. En outre, c’est bien connu le discrédit auquel il fut soumis par ses plus illustres représentants jusquau point que même Sartre le qualifia comme simple mode propre d’un snob momentané.

«Quest-ce que quon appelle existentialisme ? La majorité de ceux qui utilisent ce mot seraient très mal à l’aise pour le justifier, car, aujourdhui il est devenu une mode. Il n’y point de difficulté à déclarer qu’un musicien ou qu’un peintre est existentialiste»[1].

Toutefois, une analyse plus profond de la postmodernité, révèle l’existence en elle d’un conglomérat d’éléments de profondément enracinés dans l’existentialisme, tels que l’irrationalisme (ou anti-rationalisme), l’opposition garantie et tenace à quoique ait le goût d’imposition dogmatique, la nécessité d’un connaissance plus expérimentale sur la vie naturelle et humaine par dessus de sophistiquées abstractions mentales et aussi la découverte du propre potentiel personnel, basée dans une affirmation subjective et quelquefois même absolutiste de la propre liberté au niveau économique, personnelle et sociale.

Encore plus, la contemplation d’une France qui, pour la gaieté de quelques-uns et la perplexité enragée d’autres a célébré avec toute pompe le centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre, démontre une fois de plus comment sa pensée et son influence restent intimement enracinés dans la mémoire historique des générations nées dans les derniers lustres. Le vacarme organisé au tour de cet événement, a fait à nouveau populaires la production, réflexion et critique littéraire sur le personnage qui en est à l’origine. J’essaierai dans les lignes successives d’en esquisser ses traits fondamentaux et son (leur) importance.

La marque intellectuelle de Sartre.

Le 16 avril 1980, un œdème pulmonaire éteignit la vie, à hôpital Broussais de Paris, d’un des plus réputés intellectuels du XXe. siècle : Jean-Paul-Charles-Aymard Sartre ; avec lui périssait un des dernier maîtres de la pensée française et un des génies plus étonnant de notre temps. Après sa mort, on lui dédia plus de pages quaucun autre événement littéraire : «c’était une conscience critique qui venait de disparaître[2]».

En vérité, cet homme au «regard bigle et à voix nasale» était dans la même ville qu’à présent, au cimetière de Montparnasse garde ses cendres, Paris, le 21 juin 1905. Jamais il ne s’est marié peut-être par son aversion aux engagements sérieux ou par simple amour de la liberté. Néanmoins, hormis sa mères et Simone de Beauvoir, d’autres femmes lui furent proches. Je pense à Olga Koskiewicz avec laquelle eut une sorte de liaison amoureuse et à sa fille adoptive Ariette El Kaim. Jamais il n’eut de disciples ni occupa une chaire universitaire mais, il a reçu les noms de «homme-siècle», «concentré de intelligence», «nomade merveilleux», «anthologie d’humanité» (Lévy), «intellectuel total» (Uribe-Merino), «tourbillon d’enthousiasme qui finit dans l’hystérie» (Hirschberger), «témoin attentif et perspicace de notre temps» (Reale et Antiseri). Pour cette raison, écrire sur ce grand maître de l’existentialisme n’est pas si facile et pourtant passionnant.

Est Sartre un français au visage pas trop agréable mais il est aussi un personnage l’on peut trouver un sorte de modèle paradigmatique de l’intellectuel engagé, polémique, éclectique et actuel tel qu’une «aventure qui se passe à plusieurs vitesses» (Lévy).

Avec la figure de Sartre nous nous trouvons face à un cas unique dans toute l’histoire de la pensée contemporaine. En effet, surtout aujourdhui et davantage chez les jeunes, on conçoit occasionnellement le philosophe comme l’homme de la solitude, l’isolement et l’abstraction, dans un monde d’idées et raisonnements inapplicables. Sa physionomie est pintourluré de mystère et même de folie ou débilité mentale. Ainsi la philosophie n’est plus captivante pour beaucoup. Sartre, par contre, est capable d’enseigner aux nouvelles générations quon peut construire un système conceptuel rigoureux tout en étant un homme proche des besoins de son époque. Ce dans ce sens il est inégalable : philosophe dans les règles, mais aussi romancier et dramaturge et scénariste du cinéma et activiste politique et essayiste et amant de la vie et les femmes

Son nom est drapeau. Ses conférences finissent en tumulte. Poussées, chaises détruites, services d’ordre débordés, tentatives de rixes, cris de pithiatisme… Les gens vont chez les Centraux pour entendre dire à ce petit homme dire que l’existentialisme, à la fin, n’est qu’un humanisme, de la même façon quils iraient a l’Olympia pour écouter Harry Belafonte ou Frank Sinatra.

Ainsi donc, Sartre se révèle dans tous les genres de l’époque. On le découvre affairé de toutes se forces au présent, comme assoiffé de posséder le monde en son ensemble. Sartre, tel que exprimé par Anna Boschetti, fut le nouveau Bergson de la philosophie et le nouveau Gide de la littérature : l’héritier de deux trônes que furent désoccupes en même temps[3]. Cela est Sartre : aimé de tous haï d’autres, athée, rebelle, iconoclaste des principes de sacristie, lutteur, amant éternelle du «Castor»[4]

Aujourdhui les intellectuels ne brillent avec tant d’éclat. Il est difficile d’en imaginer un au XXIe. siècle, peut-être parce que la médiocrité d’est installé dans bien de cercles, peut-être parce que maintenant, tout simplement, on n’a plus besoin de gens de cette taille.

Mais on peut quand même en apprendre qu’un intellectuel ne peut être un savant, innocent et irresponsable créateur d’idées mais un qui assume les engagements de son temps même en se gagnant la censure et la haine de grands et puissants secteurs. Car, même dans la gloire et le prestige de Sartre il y eut comme éternelle compagne l’antipathie et l’animadversion contre sa personne et son œuvre .

Son nom et ses écrits se trouvèrent dans l’Index du Saint-Office qui, certainement, menaçait avec des peines canoniques à ceux lissât ce «faux écrivain et philosophe peu sérieux» dont «il était déjà temps de l’enduire de soufre et le mettre feu devant Notre-Dame, comme la manière plus charitable de sauver son âme[5]».

Sartre fut donc aussi la conscience haïe de son siècle : il fut appelé «vipère lubrique», «hyène dactylographique», «rat visqueux», «cancer rouge de la nation», «moisi bizarre de la haine, l’envie, la stupidité et la sexualité la plus vulgaire», «romancier démoniaque», «truand maître chanteur», «ténia», «crotte» et signalé avec d’autres titres aberrants.

La représentation scénique de «Les mains sales» à Helsinki et de «Huis-Clos» en Angleterre. Deux fois on bombarda son étage et une fois dans les locaux de «Les temps modernes», revue quil avait fondé avec M. Merlau-Ponty. Peut-être, fût-il cela une réussite. Tout le monde en parla. On l’appuya, on l’injuria, on le déchira avec des critiques, mais, personne put le méconnaître et, malgré ce que l’on puisse penser, il fut un des plus grands fils de la France de la deuxième moitié du XXe. siècle et même dans nos jours on peut le considérer comme prototype de l’intellectuel. Bien que scandaleusement sous-estimé, un des meilleurs écrivains de l’époque récente, inutilement lauréat avec le prix Nobel quil refusa en 1964 alléguant raisons de nature morale et essayant de sauvegarder son intégrité intellectuelle.

Mais, quest-ce que c’était que sa pensée? littérature ou philosophie? Littérature et philosophie. Il était écrivain parce quil était philosophe, puis il était philosophe car il était écrivain.

De Torre croit que, sans doute, un des succès de l’existentialisme littéraire fut le saut de la poésie au roman, de l’effusion subjective au reflet pluriel du monde[6]. Puisque, il me semble que Sartre est meilleur philosophe lorsquil décrit dans La Nausée l’expérience de Roquentin dans le parc, ébaubi par la forme du châtaignier, ou lorsque récite la solennelle conclusion de Garcin dans l’enfer avec l’air de chambre second-empire dans Huis-Clos, ou encore lorsque, dans un ton aux accents goethiens reflet la bâtardise de l’homme sans Dieu dans son personnage de Goetz de Le diable et le bon Dieu. Sa philosophie est, d’une certaine façon, corrompue par ses ouvrages littéraires et ses ouvrages littéraires se trouvent interprétés dans ses traités magistraux. Ainsi donc, le Sartre de L’être et le néant se comprendra mieux à la lumière de celui de La nausée, Les mouches, Le diable et le bon Dieu, La putain respectueuse, Les séquestrés d’Altone, Le mur ou L’âge de raison.

On peut dissentir de certaines opinions car il a accentué la dimension négative de la vie humaine en relation et a même affirmé que la base de la dynamique interpersonnelle est le conflit, que l’enfer ce sont les autres et que la vie est absurde à tel point que W. Luypen considère que tout ce qu’il fait n’est qu’une phénoménologie de la haine. Il a limité l’amour, lui, au simple désir d’être aimer, enfermant l’homme dans une subjectivité totale qui l’empêche tout ouverture vers les sentiments plus humains et humanisants. «Rien ne peut me limiter sinon le prochain[7]», laissa écrit.

D’autre part, ses études sur la conscience, la réduisent à simple catégorie d’un Néant transcendantale ou phénoménologique, radicalisant les perceptions déjà présentes dans la philosophie husserlienne mais, en expulsant même le Je, chose au fond impensable tel que souligné par le jésuite Juan Alfaro car «si la conscience implique la façon d’agir du je-personnel dans les actes, cela veut dire qu’elle quelque chose de positif et de réel, une réalité différente des autres réalités du monde, mais réalité[8]».

En dernier lieu, il est impossible d’oublier que, au socle de toute sa philosophie Sartre a mis une rotonde négation de Dieu et de n’importe quel autre vestige de transcendance et que, dans son étude de l’existence, bien qu’il dut admettre qu’elle ne se révèle ni comme auto fondé ni comme auto fondante, mais bien au contraire, comme limitée et contingente, il préféra opter pour réduire l’homme à l’absurdité pour prémunir son athéisme conséquent : il n’y a point de cause pour être dans le monde, il n’y a point de cause pour vivre, il n’y a point de raison pour être homme.

Il n’est moins vrai aussi que dans bien de points Sartre n’a fait que refléter sa propre condition d’un homme avec une flamme de foi évidemment faible et la plus part de sa biographie complètement éteinte. Passant son enfance entre son vieux grand-père calviniste qui ne perdait point d’occasion pour se moquer de la religiosité propre du catholicisme et une mère et une grand-mère catholiques non-pratiquantes, si étant un enfant apprit quelques prières bien tôt, selon ses propres ‘Mots’ blasphéma : «maudit Dieu, maudit Dieu, maudit Dieu» et sentit qu’il jamais le regarda a nouveau[9].

Quand il parle de soi-même normalement il le fait dans un langage dur et sans pitié, manifestant le fait de sa laideur et peu de grâce et même en se comparant avec un crapaud. L’atmosphère sombre qui traverse une grande partie de ses pages donne souvent l’impression d’un tempérament dépressif. Il est clair aussi que, quelques-unes de ses intuitions métaphysiques disent référence plus à un état d’esprit qu’à une condition universelle.

C’est ce vide et solitude qui font de sa pensée une espèce de très longue et dilatée confession chatoyée par l’habile souplesse philosophique de celui qui devient confident de soi même. On reste avec la sensation de voir un homme qui se donna mille rendez-vous pour nous raconter, tantôt sur un scénario, tantôt dans la circonspection du plus âcre traité phénoménologique, tantôt dans un aigu écrit politique ou dans le plus métaphorique de ses romans, sa propre vie et son naturel génie.

Heureusement, il doit y rester la consolation de pouvoir dire, comme autrefois le perspicace Hamlet dit à Horatius : «plus de choses il y a dans le ciel et sur la terre que celles que rêve ta philosophie»… Certainement qu’il en est ainsi.

Nonobstant, ne laisser pas d’inspirer un profond respect son cohérent essai de concevoir l’histoire non comme un destin qui tombe inexorablement sur des individus impavides mais comme quelque chose dans laquelle nous sommes tous participants, et pour cela, coresponsables.

Lui, Sartre, est un mélange presque parfait, ou tout au moins très intéressant, de talent littéraire et acuité philosophique. Comme penseur existentiel les systèmes et les formulations théoriques ne le séduisent point s’ils ne sont guère capables de retourner à la propre vie et prier l’homme a y prendre la part indéboulonnable qui lui revient.

Sartre est un philosophe, il le démontre largement et originalement au lecteur. Il est un génie : ses réflexions dévoilent une intelligence très aiguë. Il est écrivain, assez prolifique comme pour être digéré d’une entaille. Il est un intellectuel engagé, ses voyages et pris de parti en rendent compte. Mais, à la fin Sartre est aussi et surtout un homme, une vie et une histoire, un temps et une époque qui pèse sur ses épaules, le bénéficiaire d’un héritage qui a des exploits et des erreurs. Ses écrits et sa biographie ne font que nous étaler devant les yeux la présence d’un manquement et d’une vision jamais réconciliée de soi même et le témoignage de combien il est lugubre une vie sans transcendance.

Cependant, il reste vrai que, malgré tout il continuera à parler et ses paroles continueront à grelotter dans les oreilles de beaucoup de ceux qui transitons cette histoire humaine qui se continue...

«L’unique chose que je demande au futur c’est d’être lu». Sartre
Lenin
[1] Sartre. L’existentialisme est un humanisme. p. 57
[2] Uribe Merino, Catalina. Juan Paul Sartre: el intelectual del siglo XX. En: revista Universidad de Antioquia. p. 44
[3] Boschetti, Anna. Sartre y «Les temps modernes» : una empresa intelectual. In: revue Universidad de Antioquia. Juillet-septembre 2001. p. 37.
[4] Le surnom qu’il donna à Simone de Beauvoir.
[5] Paroles de Pierre Brison, directeur de Le Figaro.
[6] De Torre, Guillermo. Jean Paul Sartre y el existencialismo en la literatura. In: Sartre, Jean Paul. El muro. Introducción. p. 8-9.
[7] Sartre. L’Être et le Néant. p. 367
[8] Alfaro, Juan. De la cuestión del hombre a la cuestión de Dios. p. 97.
[9] Sartre. Les mots. p. 68.